Le tour du Maroc en Royal Enfield 500
– automne 2022 –
Sommaire.
- LE TOUR DUMAROC EN ROYAL ENFIELD 500
- Le circuit (les étapes)
- Le budget (voyager à moindre coût, c’est possible)
- Le voyage, une philosophie
- le voyage (étape 1…. étape 14)
- Le coin moto -1-
- Le coin moto -2-
- Le coin moto -3-
- Le coin moto -4-
- 1er coup de coeur (Telouet et sa région)
- 2ème coup de coeur (Avec Salah dans la région de Tagounite)
- 3ème coup de coeur (le Haut Atlas et la région de Amizmiz)
- 4ème coup de coeur (Avec Abdel à El Djadidah)
- Épilogue
DURÉE
36 jours
DISTANCE
3429 Km.
BUDGET
2750 €
INTRODUCTION AU VOYAGE
« Qui voyage ajoute à sa vie » (proverbe berbère)
S’élancer sur les routes du Maroc pour y parcourir 3500 km au guidon d’une Royal Enfield 500, n’est pas complètement anodin. Depuis la fin de la séquence Covid, l’idée de combiner ma passion pour la moto avec mes envies de bourlinguer, se précisait. Je voulais remettre en marche mes envies de voyage et vérifier qu’avec cette moto mythique, là-bas, dans le Sud, dans un pays que je connais bien, une chevauchée fantastique était possible. (A l’occasion d’un voyage que j’effectuais en 2018 au Maroc, en voiture cette fois, j’ai rédigé sur ce site un article plus complet à propos des villes et des régions traversées. Je vous en communique le lien ci-dessous)
Je suis donc entré dans ce halo imaginaire persuadé de trouver en chemin de quoi donner corps à mes envies vagabondes. Alors, par un beau matin d’automne j’ai enfourché ma bécane et j’ai pris la route, fier d’accomplir à presque 71 ans, en Royal Enfield 500, une moto simple et sans option, une fabuleuse balade à travers le Maroc.
La moto ? N’allez pas chercher de gadgets électroniques ou quelque carénage plus ou moins enveloppant. Il n’y en pas. Dépourvue de systèmes électroniques, de capteurs, de gadgets, elle brille par sa simplicité et son côté « vintage ». Deux roues, un moteur et quelques dispositifs nécessaires à la sécurité, voilà tout !
Le fait de ressentir physiquement les variations du temps à travers le vent, le froid, le chaud, la pluie… procure la sensation jubilatoire d’appartenir à l’Univers et d’être directement relié à la nature. Plus encore, ne faire plus qu’Un avec sa monture, ressentir dans son corps les moindres aspérités de la route ajoute au voyage un côté grisant qui n’existe pas dans le confort climatisé et aseptisé d’une voiture ou d’un 4×4. Il manque encore ici une chose essentielle que tous les motards connaissent bien: le frisson ! Cette sensation qui permet de se sentir pleinement « vivant », en communion avec l’environnement.
Peut-être que les randonneurs ou les cyclistes éprouvent eux aussi ce genre de sensations. Je me souviens des longues marches en montagne ou encore des randonnées à bicyclette que je faisais plus jeune. Une côte, une difficulté devenaient alors une formidable incitation à poursuivre. Qui n’a pas un jour ressenti cette jouissance devant l’effort, cherchant ainsi à repousser toujours un peu plus ses limites ? Dans cette affaire, le corps est en première ligne. Avec la volonté, c’est lui qui commande. Vent de face, faux plats, montées d’un col…, il est à l’épreuve; il souffre, parfois aussi il s’abîme. Mais quel bonheur d’arriver éreinté en haut d’un col, devant un panorama sublime après une débauche d’efforts.
Cela dit, sur une moto, le corps n’est pas soumis aux mêmes épreuves qu’à pied ou à vélo, mais surtout ce n’est plus lui le patron; il n’est plus tout seul à décider du but à atteindre. La machine a aussi son mot à dire. Et il m’est arrivé quelques fois, sous mon casque, de souffler à l’oreille de ma monture : « de grâce, ne me lâche pas… Et surtout pas ici, au milieu de nulle part ! « .
Reste, quoiqu’il en soit, une différence importante entre un déplacement motorisé et un autre effectué en marchant, en pédalant, à dos d’âne ou avec un chameau : elle est d’ordre écologique et par les temps actuels c’est un vrai sujet !
J’ose croire cependant qu’avec une 500, on ne pollue pas trop ! D’ailleurs comment le pourrait-on avec une moto de 27 cv qui ne consomme guère plus de 3 litres d’essence aux 100 km. En vérité, j’aime la moto ! Et surtout, elle permet d’accéder à des endroits, qu’à pied ou en vélo, je n’aurais pas eu le courage d’explorer, compte tenu de la distance. Sensible à la cause écologique, je mesure toutefois la contradiction, mais je l’assume. Au risque d’une justification quelque peu hâtive, je crois pouvoir dire qu’un déplacement en 500 Royal Enfield ne contrevient pas ou peu aux principes écologiques. Que mes amis motards qui possèdent de grosses bécanes, n’en prennent pas ombrage. On peut rouler en 1250 GS BMW ou avec une grosse japonaise superbement équipée et ne pas être un affreux pollueur pour autant ! La façon de conduire, la recherche d’un comportement éco-responsable sont des facteurs importants quand on veut voyager « écolo » ! En tout cas, j’espère m’être rapproché au plus près de l’état d’esprit d’un cycliste, d’un randonneur, bref de toute personne qui utilise un mode de déplacement « doux » et durable, au contact direct de la nature. Non seulement parce que, comme eux, mes itinéraires en zigzag s’effectuaient à l’air libre, mais aussi parce que cette sobriété que je m’imposais, m’obligeait à voyager « léger », le nez au vent, le plus simplement du monde respectant ainsi, au mieux, l’environnement !
Mais quel que soit le ressenti ou l’intention, le voyage à moto c’est d’abord une passion, un plaisir et un choix qu’on a fait. C’est bien différent d’un moyen de locomotion qu’on utilise pour aller d’un point A à un point B dans une logique utilitaire. En Royal Enfield, le voyage est un « art de la tangente » selon la belle formule de Patrick Tudoret (« En Marchant »). Mais paradoxalement ce plaisir atteint son paroxysme lorsque ce n’est plus tant la moto qui importe mais ce qu’elle autorise en termes de rencontres et d’ouverture au monde. « Transporté » par le sublime, il arrive alors qu’on oublie la moto et ça devient carrément magique ! Davantage qu’un simple tour du Maroc à moto, c’est une expérience humaine que j’ai vécue pendant ce voyage.
Cette expérience, je l’ai conçue à partir d’ une idée toute simple: prendre mon temps et ne pas me presser. Je ne pars donc pas pour réaliser un record de vitesse, ou une quelconque performance. A vrai dire, cette moto, avec ses 27 cv. n’est pas taillée pour ça ! Non, au-delà des kilomètres de goudron ou de poussière, c’est l’immensité des paysages du Sud et la chaleur de l’hospitalité berbère que je veux retrouver. Naturellement, aux étapes longues et souvent fastidieuses, je préfèrerai, autant que possible, des étapes courtes pour pouvoir prendre le temps de m’attarder là où d’habitude le voyageur pressé ne fait que passer.
-LE CIRCUIT-
Les étapes
Tanger-Rabat : 250 km
Rabat – Casablanca : 68 km
Casablanca – Marrakech : 256 km
Marrakech – Ouarzazate : 195 km
Ouarzazate – Zagora : 160 km
Zagora – Tagounite -Mahmid : 100 km
Mahmid -Foum Zguid : 225 km
Tata -Taroudant : 174 km
Taroudant -Asni – Imlil : 190 km
Asni – Amizmiz : 43 km
Amizmiz – Marrakech : 57 km
Marrakech – El Djadida : 199 km
El Djadida – Kenitra -Tanger : 437 km
– LE BUDGET –
voyager à moindre coût c’est possible !
Pour la partie budget du voyage, j’ai vu très large. Selon une expression bien connue, je ne me suis pas « serré » la ceinture ! Ces 36 jours de voyage m’auront ainsi coûté 2750 €. Il est toutefois possible de faire le même voyage avec un budget nettement moins important (environ 30 à 40% de moins). Disons, qu’en calculant davantage que je ne l’ai fait, il est possible de dépenser beaucoup moins.
Les principales économies auraient pu être réalisées sur la partie hébergement et le transport en ferry. J’ai effectivement opté pour une cabine individuelle et au retour une cabine avec vue sur la mer (!), beaucoup plus chère qu’un fauteuil pullman ou qu’une cabine partagée à quatre. D’autres économies auraient pu être faites concernant l’hébergement, les restaurants…Autrement dit, on peut voyager, loin et longtemps sans se ruiner.
– LE VOYAGE, UNE PHILOSOPHIE –
Quel que soit le voyage qu’on entreprend, on n’échappe pas à sa condition de touriste. (Le pire, serait de l’oublier, voire de la nier ! ). C’est à partir de cette condition qu’aujourd’hui, de plus en plus de touristes prennent conscience de l’impact environnemental de leurs voyages. Sensibles à l’idée de repenser leur façon de voyager, ils s’interrogent sur la question de leur rapport aux populations locales et aux territoires visités : « comment voyager en respectant l’environnement et en développant à l’endroit des populations locales et de leurs coutumes une attitude bienveillante et respectueuse ?
Il n’y a pas de réponses parfaites à cette question. Il y a simplement la prise de conscience que changer ses habitudes c’est possible, que certains gestes, certaines attitudes sont plus éco-responsables que d’autres.
Dans cette perspective, ces quatre objectifs m’ont servi de viatique :
- Viser la sobriété
- Privilégier une mobilité lente
- Prendre le temps de regarder, d’écouter, de comprendre et d’échanger avec les populations locales
- Respecter les lieux, les coutumes et les traditions.
Quel rapport avec mon voyage en moto ? Cela fait maintenant trois ans que je roule en Royal Enfield 500. Fort de cette expérience je me suis dit que rouler avec une moto indienne chargée d’histoire, une moto à l’allure si joliment rétro et dépouillée, c’était comme un privilège. Mais un privilège qui m’a amené à repenser ou à revoir ma façon de traverser le temps et l’espace. C’est à partir de cette matrice existentielle que j’ai ainsi effectué mes premières balades. Dans tous mes voyages et notamment au cours de mon tour du Maroc j’ai ainsi veillé à ajouter au plaisir de la moto ce côté « écolo » qui donne au déplacement sa profondeur éthique.
C’est dans cet état d’esprit que je me suis débarrassé le plus possible de cette impérieuse obsession de l’objectif à atteindre et de la performance à accomplir. J’ai préféré les chemins de traverses aux grandes avenues; ils ont dessiné en creux un parcours intérieur, une sorte de voyage existentiel grâce auquel ce tour en Royal Enfield prenait sens. A cet égard les espaces traversés étaient d’autant plus saisissants qu’ils semblaient me renvoyer au-delà de leur singulière beauté, à la réalité de plus en plus fragile et malmenée d’un monde en proie aux tourments et aux vicissitudes de l’ époque mondialisée.
Au fond, il y a toujours quelque chose d’émouvant quand on prend le temps d’embrasser du regard l’immensité d’un paysage. Personne, pour prendre cet exemple, n’est insensible face à l’étendue silencieuse du désert où sont nées les religions monothéistes. Là, peut-être plus qu’ailleurs le regard devient émotion. Nous sommes tout entier absorbés par cette expérience. Or d’habitude, parce qu’on est pressé, parce que le programme qu’on s’est fixé impose de passer d’un paysage à l’autre, parfois au pas de charge, le panorama prend la forme spectaculaire d’une « carte postale » mentale : celle qu’on « envoie » émerveillé à ses proches et qu’on garde dans le tiroir de ses souvenirs. Certes, on s’émerveille, on se dit que c’est « une vue à couper le souffle », on fait des photos, on se dit que c’était génial, puis on passe au panorama suivant tout aussi digne d’émerveillement que le précèdent… On enfile les visites, on accumule les paysages. On communique son bonheur sur les réseaux sociaux !
Ce consumérisme touristique est de plus en plus répandu. Le voyage est devenu un produit de consommation comme un autre. Une caricature de ce type de tourisme : le voyage organisé. On achète un voyage où tout est déjà prévu et on se laisse emmener ! Un programme recense l’ensemble des visites à faire à tout prix. Le temps est compté. Aujourd’hui je fais tel site, demain tel autre et ainsi de suite … Mené en voyage, (ou en bateau !) baladé de site en site, le voyageur tente d’optimiser son séjour. En clair, il veut en avoir pour son argent ! Tout ce qui a été prévu doit être réalisé. Dans ces conditions, je m’interroge peut être à tort, sur la possibilité quasi métaphysique d’avoir le temps de nouer une relation sensible et intense à l’environnement au point d’être « touché » par l’âme d’un paysage. Or selon moi, le voyage doit être l’occasion privilégiée de s’interroger sur son rapport à la nature, et de se comprendre comme faisant partie de cette nature ! Car c’est très certainement dans cette saisie de soi dans l’environnement, dans le fait d’y être engagé, que la question écologique peut prendre forme et qu’une philosophie du voyage devient possible…
Je pense que plus fondamentalement, le temps sublime l’espace. Comme le rappelle merveilleusement bien G. Vigarello dans son livre « une histoire des lointains » … « le temps ordonne l’espace » et ce faisant, il lui donne une densité, une signification qu’on ne voit pas ou peu quand on est pressé. Plus encore, il lui confère une qualité et une grandeur qui interpellent le voyageur en même temps qu’il aiguise sa curiosité. Il fait ainsi du voyage un moment précieux qui ravive la « volonté de savoir » et de comprendre. A cet égard, J’ai toujours considéré mes voyages comme de grandes leçons de vie.
– LE VOYAGE –
Étape1/ Sète-Tanger en ferry
l’embarquement. Des dizaines de voitures, quelques camions et camping-cars sont soigneusement garés sur le parking, à l’entrée de la zone d’embarquement. Comme le groupe de motards que j’ai rejoint, tout ce monde attend le moment de s’engouffrer dans l’immense garage du ferry. Le départ est prévu à 18h.
Le ferry est amarré à une extrémité du port commercial de Sète. Lorsque les autorités portuaires ouvriront les portes d’accès au navire, le long cortège de véhicules pourra alors se mettre en mouvement et chacun accomplira au passage des postes de police et de douane, les formalités administratives nécessaires à son voyage.
P. avec sa 600 Ténéré des années 80 part retrouver un ami installé à Saly au Sénégal; un belge en 700 Ténéré, n’est pas très fixé sur une destination. La perspective du Sénégal semble l’intéresser. Avec P. ils envisagent de faire la route ensemble. Deux motards en BMW 1250 GS ont prévu de se balader dans l’ Atlas en famille. Les femmes conduisent la voiture d’assistance, un super 4×4 Toyota. L’heure d’embarquer approche…
40 heures de traversée ! C’est long ! Alors pour occuper le temps, j’ai très vite trouvé quelques distractions simples : regarder la mer, tenter de voir derrière l’horizon, ou encore passer de longs moments à méditer sur les traces blanches et bleues que le bateau laisse derrière lui. Le soir je contemplais les étoiles, parfois j’apercevais au loin les lumières de la côte ou celles d’un autre bateau croisé en pleine mer. J’en ai également profité pour lire, discuter avec les gens de tout et de rien, retrouver mes amis motards au bar du ferry ou au restaurant, le soir, autour d’une bouteille de vin italien… Devant les superbes couchers de soleil en mer, à l’entrée dans le détroit de Gibraltar flanqué de son célèbre Rocher, face aux côtes africaines, le rêve s’accomplissait.
* LE COIN MOTO -1-
A mon arrivée à Tanger le 17 octobre 2022, le compteur de la moto affiche 7330 km. Un mois plus tard, le 19 novembre, au terme de mon périple marocain, il affiche 10759 km, soit un tour de 3429 km. Révisée à 5000 km, parfaitement entretenue, j’ai néanmoins fait une vidange et changé le filtre à huile à 9000 km, au retour à Marrakech. C’est dans un garage moto de la ville, partenaire de la marque Royal Enfield que cette révision a été faite. J’en ai profité pour faire retendre et graisser la chaîne. Pour le reste, la moto s’est parfaitement comportée. J’ai croisé les doigts pour ne pas avoir de problème. Et je n’en ai pas eu ! Aucune panne, aucune crevaison n’ont été à déplorer, sauf des boulons à resserrer (à Foum Zguid) et la pièce métallique du pot d’échappement à re-fixer avec un collier, les rivets ayant pris du jeu (au retour, à Marrakech).
Étape2/ Arrivée à Tanger
Après une traversée de 40 heures, le ferry accoste au port commercial de Tanger (Tanger Med), situé à une quarantaine de km à l’Est de la ville. Un dernier au revoir aux trois motards avec lesquels j’ai fait la traversée et me voilà sur la petite route sinueuse qui longe la rive africaine du détroit entre mer et montagnes. Je reste concentré, mais ose quelques coups d’œil pour admirer le détroit de Gibraltar et la côte espagnole en face. « Tanger la blanche » est là-bas au bout de la route à l’extrémité ouest du détroit. Il me faudra une heure pour rejoindre la ville.
Il est 12h. Je viens d’arriver à l’hôtel Continental, un des plus anciens hôtels de Tanger. Ici, c’est une véritable Institution ! Les photos affichées sur les murs des petits salons rappellent que dans ce lieu, des célébrités comme Edgar Degas, Winston Churchill y ont séjourné. Bernardo Bertollucci y a tourné des scènes de son film « un thé au Sahara ». Construit en 1870, l’hôtel est aujourd’hui classé au patrimoine national. S’il n’offre plus le luxe d’un âge d’or révolu, il a su garder cet aspect quelque peu « vieillot » qui lui donne, à l’image de la ville, un charme incontestable. Des salons marocains ornés de mosaïques traditionnelles rappellent les fastes d’antan. Située dans la médina, en surplomb du port, la vue sur la baie de Tanger est unique. Le prix au regard du caractère du lieu et des prestations fournies est très raisonnable : 45 € pdj compris.
DANS LES RUELLES DU SOCCO : SUR LES PAS DES ÉCRIVAINS
Je resterai trois jours à Tanger le temps qu’il me faudra pour régler le vol de mon téléphone portable le jour même de mon arrivée. (J’ai en effet été victime d’un pickpocket très « compétent » alors que je me baladais en début d’après-midi dans le Grand Socco). Du coup, entre la recherche vaine de mon iPhone et les diverses formalités que j’ai dû accomplir, je me suis replongé dans l’histoire de la ville et particulièrement dans son histoire littéraire. Pendant trois jours, la moto soigneusement garée dans la cour de l’hôtel, j’ai mis mes pas dans celles de quelques écrivains célèbres qui ont déambulé dans les ruelles du Socco.
Dans les années 50, Tanger, avant d’être rattachée au royaume du Maroc, jouit d’un statut particulier de zone internationale. Au milieu de la misère qui y règne et qu’a fort bien décrit Mohamed Choukri dans son roman « Le pain nu », tous les excès sont alors possibles. Pour cette raison, elle va séduire nombre de gens du monde entier fuyant le conservatisme de leur pays et désireux, à Tanger, de vivre leur vie le plus librement possible. Les amateurs de fêtes, de culture, de littérature, les aventuriers, les trafiquants…. s’y donneront rendez-vous.
Les grandes figures de la contre-culture et de la « beat génération » comme Jack Kerouac, Allen Ginsberg, W S. Burroughs ont fait le voyage de Tanger. C’est par exemple dans une chambre minable de la médina que Burroughs commence à écrire « Le festin nu « .
Ils ont logé dans les pensions bon marché du Petit Socco, (« petit marché »). Ils y ont fréquenté les bars louches de l’époque. Paul Bowles, Jack Kerouac, Allen Ginsberg, William Burroughs, Joseph Kessel, Jean Genet, Paul Morand… ont trouvé là, dans les lieux interlopes du Socco de quoi nourrir leur oeuvre littéraire. Un « vieux » monsieur rencontré dans la médina, un soir que je m’y baladais, me disait avoir partagé avec Mohamed Choukri de mémorables beuveries.
A l’extrémité ouest du détroit, à quatorze kilomètres de Tanger, le Cap Spartel offre une vue magnifique sur le détroit. Ici, les eaux de l’océan Atlantique et celles de la mer Méditerranée se rejoignent. En contrebas, au bord de l’océan, au Sud de Tanger se trouve la petite ville d’Asilah.
Étape3/ Tanger-Rabat: 250 km
Deux motards polonais en 1250 GS s’apprêtent à quitter l’hôtel Continental. D’un clic, ils ont ouvert leurs trois valises arrimées à l’arrière de la moto; le temps d’y ranger quelques effets personnels, d’enfiler leur casque et leurs gants et les voilà prêts à partir. L’affaire est rondement menée. Avec un soupçon de jubilation, fier de ma façon brouillonne et archaïque de voyager, il me faudra une vingtaine de minutes pour attacher soigneusement mes bagages avec des tendeurs et des sangles, repositionner les sacoches en tissu dans leur emplacement…
Il est 10h. Je quitte Tanger et m’engage, après un petit crochet par le Cap Spartel, sur la fameuse Nationale 1 qui longe la côte Atlantique jusqu’en Mauritanie. Avant de rejoindre Rabat, je m’arrêterai à Larache, au cimetière catholique espagnol, là où repose au milieu des tombes espagnoles, l’écrivain Jean Genet.
C’est dans ce cimetière face à l’océan, en haut d’une falaise, que Genet a souhaité être inhumé. A deux pas du cimetière, il a fait l’acquisition d’une petite maison aux volets bleus où il venait écrire.
J’atteindrai la capitale administrative du Maroc, en fin d’après-midi. A l’entrée de toutes les villes marocaines, la gendarmerie royale a installé des barrages routiers pour contrôler les véhicules qui entrent. Le plus souvent, le gendarme de service, d’un léger mouvement de la tête, fait signe de passer; une simple formalité donc ? Pas vraiment ; sur fond d’attentats islamistes le Maroc renforce sa vigilance. Le barrage est généralement placé à l’entrée ou à la sortie de chaque ville au commencement ou à la fin d’une large avenue fleurie au revêtement parfait, bordée de lampadaires majestueux. Il semble que l’architecture urbaine au Maroc ait voulu donner des villes une image rutilante, moderne pour mieux cacher sous le tapis, une misère pourtant bien présente ! Rabat n’échappe pas à cette règle urbanistique, bien au contraire. C’est ici que réside le Roi ! Derrière les hauts murs d’une avenue plantée de palmiers, son palais doit être somptueux ! (Il en a plusieurs…). Après avoir longé sur plusieurs kilomètres ces hauts murs étroitement surveillés par des militaires, je traverse la petite ville de Salé. Mitoyenne de Rabat elle lui est reliée par plusieurs ponts. Un agent de la circulation à qui je demande la route pour atteindre la médina me conseille de prendre le pont Hassan II. Je longe maintenant les épaisses murailles d’une cité qui jadis servait de base arrière aux Almohades pour lancer leurs expéditions en Andalousie.
Une grande porte en bois servant jadis de protection aux habitants ouvre sur la médina. Derrière, tout à côté du rempart, j’ai repéré un petit hôtel. J’y passerai la nuit. En début de soirée, après avoir confié la surveillance de ma moto à un gardien, je vais me balader dans les ruelles alentour, très animées à cette heure de la journée. Dans un des nombreux petits restaurants de la médina, je mangerai un délicieux plat de poissons frits accompagnés de légumes et de quelques frites.
Étape4/ Rabat-Casablanca: 68 km.
Entre Rabat et Casa, la conduite est pénible et recquiert une vigilance de tous les instants. Cette région du Nord du Maroc est en effet très urbanisée et la circulation sur la N1 y est très intense et parfois carrément anarchique ! Tout ce qui roule semble s’être donné rendez-vous sur cet axe ! Des camions, des charettes, des mobylettes, des voitures, des bus … avancent de manière d’autant plus heurtée qu’il y a des travaux. Il eut été, certes, plus simple de prendre l’autoroute qui relie Tanger à Marrakech. Mais la 500, n’est pas la moto idéale pour rouler sur les autoroutes. Je me résous alors à traverser des villes comme Rabat, Mohammedia et aujourd’hui Casablanca. Toutefois, je me rassure vite : en matière de mobilité urbaine et péri-urbaine, la moto n’est jamais vraiment à la traîne. Elle a d’excellents atouts. En cas de bouchons, ou de forts ralentissements, on est rarement coincé !
CHEZ LE CONCESSIONNAIRE ROYAL ENFIELD DE CASABLANCA
Avant d’aller au Maroc, j’avais consulté internet pour savoir si Royal Enfield était présent au Maroc. Le résultat « google » fut immédiat: « Motorsports-Royal Enfield « . Un concessionnaire de la marque indienne est présent au Maroc, à Casablanca. (Selon les responsables du magasin, deux nouvelles concessions devraient voir le jour prochainement, l’une à Tanger et l’autre à Marrakech). Une bonne nouvelle pour toutes celles et ceux qui envisagent d’aller en Royal Enfield au Maroc et qui auraient besoin de pièces ou du savoir-faire des mécaniciens de la marque. On retrouve également la concession sur Facebook ; je les avais contactés via ce réseau social pour les informer de mon passage et de mon intention de monter des pneus Trail, en remplacement de ceux d’origine. J’ai rencontré là une équipe très accueillante, jeune et dynamique et ce mécanicien de bon conseil d’origine bretonne qui a fait le choix de quitter sa Bretagne natale pour venir vivre à Casa.
* LE COIN MOTO -2-
Depuis que j’ai quitté Tanger, la moto fait plutôt bien le job. Je navigue aux alentours de 90 km/h. sur la nationale qui relie Tanger à Marrakech. Parfois, j’aimerais que ma 500 ait un peu plus de puissance, notamment pour doubler un camion qui pollue ou une voiture qui m’empêche de voir loin devant ! Mais bon, je n’ai pas acheté cette bécane pour ses performances. Alors je ralentis, laisse filer « l’obstacle » et continue d’avancer, doucement mais sûrement et ça me va bien ! Par contre, le moindre bruit suspect m’alerte. Il faut dire que la bécane vibre beaucoup, et que les bruits parasites du moteur m’empêchent d’être complètement serein. Quant aux freins, ils sont un peu à la peine ! Disons le tout net, il ne freinent pas très bien, surtout le frein arrière. Alors, on apprend à anticiper les obstacles et finalement en dépit d’un freinage qui manque de mordant, je m’adapte en utilisant une conduite la plus « soft » possible, surtout en zone urbaine. Facile d’utilisation, elle est très agile compte tenu de sa relative légèreté (187 kg plein fait) par rapport aux gros Trail (environ 250 kg). De plus, la hauteur de selle est assez basse (805 mm) ce qui facilite la conduite en milieu urbain, surtout quand, comme moi on mesure 1,70m.
Étape5/ Casablanca-Marrakech : 256 km.
Casablanca. Il est aux environs de 9 heures. Je descends les escaliers de l’hôtel Manar situé à côté du marché central. Ma moto est toujours là ! (Chaque matin, je me demande toujours un brin inquiet dans quel état je vais retrouver ma moto et surtout si on ne me l’a pas volée !). La veille, je l’avais garée, en bas de l’hôtel, sur un emplacement surveillé la nuit par un gardien moyennant quelques dirhams. Rassuré, je me dirige vers un bar qui sert de superbes petits déjeuners. Bien installé sur la terrasse ombragée, je me laisserai tenter par un fabuleux petit déjeuner marocain composé d’ un jus d’orange pressé, d’un grand café, de pain, de beurre et de miel, avec sur un plat en porcelaine, de délicieuses crêpes baghrirs et M’semmen et… une portion de vache qui rit ! S’il y avait à définir quels peuvent-être les moments les plus agréables de la journée, nul doute que le moment du petit-déjeuner marocain ferait partie de la liste. Dans quelques instants, porté par le vent doux qui souffle aujourd’hui sur Casablanca, je rejoindrai les paysages du Sud et quitterai enfin la N1. Mon esprit est déjà dans le désert. Le voyage ne va pas tarder à débuter vraiment. Dernière épreuve: sortir de Casa et de ses faubourgs misérables et chaotiques qui s’étendent sur des kilomètres. Au milieu des bicoques serrées les unes contre les autres, au sein de cet entrelac de rues encombrées de milliers de véhicules, je m’enquiers de mon chemin auprès des piétons. Les informations sont parfois contradictoires : « tout droit », « fais demi-tour », « à gauche », « à droite », « au bout de la rue, à droite ».. A chaque intersection, c’est le doute. Je ne suis pas sûr de la route à prendre. Je progresse en râlant, me fraye mon chemin comme je peux, à la recherche agacée de la route de Marrakech. Il me faudra plus d’une heure pour sortir de ce chaos et retrouver la sérénité.
Cela fait presque deux heures que je roule. Des bouffées d’air brûlant se glissent sous la visière légèrement entre’ouverte de mon casque. Il fait maintenant 35 degrés. J’ai hâte de rejoindre l’hébergement que j’ai réservé la veille par internet. C’est un charmant Riad situé à 100 mètres. de la place Djama el Fnah et peu cher compte tenu de l’emplacement. Le prix est négociable. A côté il y a un garage pour garer la moto.
Étape6/ Marrakech-Ouarzazate: 195 km.
Très tôt ce matin, j’ai entendu le muezzin lancer l’appel à la prière. Vers 8 heures, je monte sur la terrasse du ryad où sont servis les petit-déjeuners. De la rue, un brouhaha sourd entrecoupé de bruits de klaxons parvient à mes oreilles. La ville s’anime. Sur les terrasses alentours des femmes étendent le linge, des enfants jouent. Des oiseaux sautillent sur les tables du petit déjeuner en quête de quelques miettes… Au loin, j’aperçois la ligne des sommets de l’Atlas. Il est l’heure de préparer mes bagages. La perspective de rejoindre Ouarzazate, de faire un grand bout de chemin dans la montagne avant de plonger dans les grandes étendues du désert, m’enthousiasme. Je rejoins le garage avec mes deux sacoches, mon sac … Une légère pression du pouce sur le bouton du démarreur et le moteur de la 500 se réveille. Je le laisse tourner quelques instants, le temps d’enfiler le casque, les gants… J’enclenche la 1ère… Poum, Poum, Poum, le mono s’ébroue, un filet de gaz, je sors du garage avant de me faufiler dans le trafic.
Aujourd’hui, je quitte sans regret l’univers des villes que je viens de traverser. Elles ont beau contenir des ressources historiques prestigieuses, avoir un certain charme, elles ne sont qu’un point de passage pour rejoindre au plus vite le Sud. Dans quelques heures, j’ai rendez-vous avec la beauté sauvage du Haut Atlas. Le Maroc comme on l’imagine : serein, somptueux, contrasté … Pour l’heure, je roule, sourire aux lèvres, dans les petites rues déjà fort encombrées de Marrakech. Aux terrasses des cafés, les hommes bavardent autour d’un café. Sur une place, c’est jour de marché. De nombreux marchands de fruits et légumes, de viande, de volailles exposent à même le sol ou dans une sorte d’échoppe bâtie pour la circonstance, leur marchandise. Autour de ces lieux de vente improvisés, les gens sont rassemblés. Encore un peu de patience et je serai sur la route de Ouarzazate, une large 4 voies au revêtement impeccable et luisant sous le soleil. Des lampadaires haut perchés semblent se courber pour me saluer. Pendant une dizaine de kilomètres, je longe des propriétés agricoles, des petites agglomérations et d’énormes bâtisses aux imposantes terrasses sur les toits. Je sors enfin de l’ambiance urbaine agitée que j’ai connue jusqu’à maintenant. Il faut attendre le petit village de Touama pour entamer les premiers virages du col Tizi N’Tichka (2260 m.). La route reste très roulante, les virages amples, le revêtement parfait. Parfois des travaux obligent à ralentir. Passé le col, je quitte la route principale et bifurque à gauche vers Telouet et la splendide vallée d’Ounila.
1er COUP DE COEUR (Télouet et sa région)
Hier encore, Telouet, ce village berbère perché à 1860 mètres d’altitude n’était accessible que par la piste. Aujourd’hui la route est goudronnée, étroite certes mais très roulante. Je navigue alternativement en 4ème et en 5ème entre 50 et 70 km/h., parfois moins, avec le plaisir intense de me laisser transporter en profitant du paysage… magnifique ! Du village on a une très belle vue sur les montagnes alentours. Majorelle (1886-1962), le peintre orientaliste de Nancy, amoureux de la région venait s’y balader à dos de mule et choisissait avec soin les paysages qu’il reproduisait alors dans ses aquarelles.
En contrebas du col du Tichka, à l’écart de la route principale qui relie Marrakech à Ouarzazate, une petite route peu empruntée mène à Télouet et au-delà à Ouarzazate. Après le vacarme des villes et le trafic des nationales, cet itinéraire d’exception est un vrai bonheur. Cette superbe région était jadis le fief du Glaoui, pacha de Marrakech nommé en 1918 par Lyautey. Jusque dans les années 20, ce coin de l’Atlas était le Cœur de la tribu des glaoua qui tiraient leur richesse des droits de passages des caravanes reliant les régions subsahariennes à la côte méditerranéenne. Assurément la région a du cachet. Elle invite naturellement à la balade pour découvrir dans les plis de la montagne aux tonalités ocre quelques hameaux isolés. Hélas, je n’ai fait que passer à Télouet et je le regrette, après coup. « Les touristes ne s’arrêtent pas ici » se plaignait le serveur du restaurant où j’ai fait une pause, « ils passent et s’arrêtent 60 km plus bas à Aït ben Haddou. Et pourtant c’est joli, ici y a une belle Kasbah à visiter « . J’en suis convaincu. La prochaine fois, je passerai au moins une nuit et visiterai la Kasbah du glaouï !
Étape7/ ouarzazate-zagora : 160 km
Avant de rejoindre Zagora, je décide de faire une halte à Ouarzazate. A la sortie de la ville, sur la route qui mène à Zagora, trois ou quatre motos trial sont stationnées à l’entrée de l’Hôtel des jardins de Ouarzazate. Je passerai deux nuits dans cet hôtel calme édifié au milieu d’un grand jardin ombragé. Un coin à connaître tant le rapport qualité/prix est excellent : très bon accueil, chambres propres, spacieuses, repas succulents et jardins très reposants; le prix ? 700 dirhams (63 €) pour 2 nuits en demi-pension pdj compris !
Quand on voyage à moto on rencontre fréquemment d’autres motards avec qui partager son « road trip » ou faire un bout de route ensemble. Aux Jardins de Ouarzazate, j’ai rencontré les motards dont les Trials étaient garés devant l’hôtel. Ils revenaient de Zagora par les pistes et m’ont invité à me joindre à eux autour d’un apéro d’autant plus savoureux que nous étions dans les somptueux jardins de l’hôtel (ils avaient emmené avec eux, dans leur voiture suiveuse, de quoi préparer chaque soir à l’étape un apéro). J’ai passé en leur compagnie une soirée fort agréable. La caractéristique de ces rencontres motardes réside dans le fait qu’elles n’ont généralement pas d’avenir, même si on s’échange nos numéros de téléphone, nos adresses mail…. En réalité, elles n’engagent à rien, n’empiètent aucunement sur ce qui nous est le plus précieux en voyage : notre liberté. Ce qui importe c’est le plaisir de partager ensemble un moment agréable. Et de fait, ces rencontres sont souvent l’occasion d’un instant de convivialité très chaleureux ! Tour à tour légère et futile, parfois grave et sérieuse lorsqu’elle s’aventurait dans de passionnantes discussions aux accents philosophiques sur la signification du Voyage, le désir d’Ailleurs et le sens de la vie…ma rencontre avec mes amis d’un soir s’est prolongée autour d’un délicieux couscous.
Ce matin, j’ai 160 km à parcourir. Dès la sortie de la ville, j’entre dans un environnement rocailleux sans grand cachet. Il faudra attendre la petite ville d’Agdz, au pied du Djebel Kissane, pour retrouver l’ambiance des oasis. A partir de là, s’étend sur 200 km jusqu’à Mhamid, une gigantesque palmeraie en plus ou moins bonne santé selon les endroits. Deux cent kilomètres pendant lesquels je vais vivre au rythme de la nature. Le nez au vent, le plaisir est intense, je vis la route ! Sur ma gauche, en poursuivant vers Zagora, des reliefs imposants se dressent au pied desquels des ksars, des kasbah en pisé plus ou moins conservés rappellent l’histoire mouvementée des tribus berbères.
Je m’arrête au pied d’une kasbah construite sur un promontoire. Un homme d’un certain âge, allongé à l’ombre d’un mur fume du haschisch. Son fils me semble-t-il se tient à ses côtés. J’enlève le casque pour les saluer, je fais un sourire; l’échange est bref, un bonjour, comment ça va. Le temps d’admirer le paysage et de prendre une photo et je repars. Plus loin sur le bord de la route, des enfants hèlent les touristes, un paquet de dattes à la main. C’est la principale ressource de la palmeraie. Or aujourd’hui, cette culture est en péril même si la palmeraie de Zagora en regorge encore. Les causes ? la sècheresse et le bayoud (parasite du palmier dattier).
Mais comme pour anticiper ce phénomène, Zagora s’est lancée dans la culture intensive de la pastèque en pompant l’eau dans la nappe phréatique. Une aberration d’un point de vue écologique ! Le tourisme est une autre ressource qui grève fortement le coût écologique envisagé. Le voyageur qui découvre Zagora est en effet frappé par les nombreux 4×4, buggy et motos tout-terrain qui y font halte. L’urbanisme galopant de ce coin du Maroc est impressionnant. Des constructions sortent de terre un peu partout. Des garages, des hôtels, des bars, des banques, des magasins ont essaimé pour satisfaire une demande touristique croissante. De longue date déjà, Zagora est le passage obligé vers les pistes du désert qui débutent à Mahmid.
je passerai la nuit dans une chambre aménagée sur le toit d’un hôtel.
Étape8/ Zagora – Tagounite : 67 km
Nous sommes le 27 octobre. Il est 10h. Je quitte Zagora pour Tagounite, heureux de flâner à mon rythme au milieu de grandes étendues sableuses. Aujourd’hui, plus que les autres jours, j’ai tout mon temps. Ce n’est qu’à 17h. que j’ai rendez-vous avec un habitant de Tagounite, Salah. Je l’ai contacté hier. C’est Abdel, son ami d’enfance qui m’a donné ses coordonnées. En attendant, je flâne, je m’arrête souvent à l’ombre d’un arbuste, d’un mur encore debout… J’en profite pour faire des photos et pour sentir le désert, son rythme, sa respiration. Seul au milieu des étendues arides du sud marocain, je fais le vide.
.J’aperçois de temps en temps de grosses bâtisses prises dans le sable du désert, à l’abandon. Vestiges d’un temps révolu…
Sur l’accotement de la route étroite, des gens attendent un taxi ou un bus. Un homme en mobylette transporte un cageot de fruits et de légumes achetés au marché de Zagora. Aux alentours de midi, le soleil ne veut plus jouer avec l’ombre; il est seul, puissant, rayonnant. Fin octobre, la chaleur est supportable. Il doit faire une trentaine de degrés, mais l’air est sec. Je décide d’aller dans un petit village un peu à l’écart de la route. A côté d’un puit, adossés à un mur, trois hommes et un enfant d’une dizaine d’années tentent de « tuer » le temps. Ils m’autorisent à les photographier. Après quelques mots, quelques geste échangés, j’en profite pour me balader dans le village.
2ème COUP DE COEUR (avec Salah dans la région de Tagounite)
Dans un des plus fascinants paysages marocains recouvert de sable et de rocaille ocre/noire, Tagounite semble paresser au soleil. Le lieu est idéal pour faire une halte. De chaque côté de la rue principale, des commerces de fruits et légumes, des artisans, des bars, des restaurants, forment, avec un vaste marché à ciel ouvert, le poumon économique de la ville.
Arrivé en avance à Tagounite, je m’installe à la terrasse d’un bar/restaurant situé au bord de la rue principale. Un couple de français accompagné de leur deux enfants est installé quelques tables plus loin. Le serveur leur apporte des frites et des brochettes de mouton. Je me contenterai d’une salade de tomates. Encore une heure à attendre. Pendant ce temps, j’assiste au ballet incessant des nombreux 4×4 qui se dirigent à grande vitesse vers Mahmid et les pistes de sable ou en reviennent ! 17 h. quelqu’un me fait signe du bar voisin. C’est Salah. Il est accompagné par deux collègues enseignants venus d’Agadir. Il fait bon dehors, la nuit vient de tomber. Les discussions vont bon train entre les habitués, exclusivement des hommes qui chaque soir se réunissent ici sous les auspices rieurs du patron. Certains sont installés sur la terrasse, d’autres à l’intérieur du bar face à un écran de télé diffusant un match de foot. Dans ce bar, l’archétype de notre café du commerce, les gens sirotent un thé à la menthe ou un café; ils parlent bruyamment dans une langue que je ne comprends pas, vraisemblablement l’Amazigh, la langue berbère. La soirée se termine chez Salah, autour d’un couscous. Je suis particulièrement sensible à sa gentillesse et à cette réserve presque timide qu’il affiche lors des échanges. Sans doute l’autorité qu’il dégage vient-elle de là ! Je serai son invité et passerai la nuit dans la grande pièce qu’il a mis à ma disposition.
En ce moment le Drâa est à sec. De gros galets gris et blancs tapissent son lit. Nous sommes fin octobre. Lorsqu’ il pleut, généralement en janvier et février ou à la fonte des neiges de l’Atlas, le fleuve se gonfle d’eau, mais pas suffisamment pour abonder les nappes phréatiques. Avec l’aggravation des conditions climatiques, la sécheresse est devenue un fléau; les populations locales découvrent résignées à quel point leurs habitudes sont bouleversées et leurs valeurs affectées. Conséquence logique de cet état de fait, de nouvelles pratiques, moins solidaires, plus individualistes de gestion de l’eau se mettent en place. L’usage individuel des motopompes pour aller chercher l’eau dans les nappes phréatiques se répand…L’état marocain veille tant bien que mal à ce qu’il n’y ait pas d’abus et que l’eau soit justement répartie. La tâche n’est pas simple, paraît-il ! La sécheresse, l’ensablement la détérioration du couvert végétal, ont poussé de nombreux habitants à partir vers des grandes villes marocaines ou à l’étranger quand d’autres ont décidé de rester. Sur place, commerçants, fonctionnaires, militaires, artisans… font vivre le village. Le tourisme est une autre activité à laquelle se consacrent des habitants. Conscients des dégâts et des perturbations engendrés par un tourisme de masse (consommation excessive de l’eau potable, pollution émise par les 4×4 , problème de déchets…), des acteurs locaux tentent de promouvoir un tourisme raisonnable et durable fondé sur la sauvegarde des richesses naturelles et le patrimoine local. Obligés pour survivre d’inventer et d’ innover, les habitants de la région soutenus par différents programmes nationaux ou associatifs tentent avec plus ou moins de réussite de s’adapter.
Quelques éléments de compréhension à propos de ma rencontre avec Salah.
L’ami de Salah, Abdel, est marocain. Il réside actuellement à Montpellier. C’est là que je l’ai rencontré il y a quatre ans et que nous avons noué de solides liens d’amitié. Lors de nos échanges, Abdel m’apprend que sa famille est originaire d’un douar proche de Tagounite. TAGOUNITE, ce mot se met à raisonner entre nous. J’y suis passé à plusieurs reprises lors de mes précédents séjours dans le sud marocain. S’il ravive chez moi cette attirance pour le désert et cette région du Maroc, il plonge Abdel dans ses souvenirs familiaux. Décidément le hasard fait bien les choses ! Abdel a gardé des liens étroits avec des gens de Tagounite. C’est par son intermédiaire que je rencontrerai son ami d’enfance, Salah. Il l’informe de mon passage et lui demandera de m’emmener dans le douar où vécurent ses parents et ses ancêtres. C’est ainsi qu’un beau matin d’octobre nous sommes partis dans le douar de la famille de Abdel à la recherche de la maison familiale.
Cela fait une quarantaine d’années que plus personne ne vit dans l’ancien douar. Les habitants ont construit un nouveau village juste à côté, plus moderne. Les vieilles demeures en pisé n’ont en effet pas résisté à l’épreuve du temps. Il ne reste plus que des ruines; un monde a ainsi disparu avec ses histoires et ses secrets. Ici des pans de murs effondrés, là, des pièces aux plafonds éventrés. En poursuivant notre marche, nous nous faufilons dans d’étroits passages qui relient les habitations entre elles. Des plafonds de roseaux supportés par des poutres de palmiers couvrent d’étroites ruelles; ils permettaient de se protéger du soleil et de la chaleur… Un collègue de Salah qui habite dans le nouveau village nous accompagne. Il sait où se trouve la maison des parents d’Abdel. Il nous y mène.
Un grand moment d’émotion
Elle est là; ruine parmi les ruines. Les décombres jonchent le sol. Salah gravit une petite pente formée par un amas de briques de terre. Arrivé au sommet de ce petit monticule, il sort de sa poche son téléphone et appelle son ami Abdel qui est à Montpellier. Grace à la 4 G, accessible sur tout le territoire marocain jusque et y compris dans les coins les plus reculés du désert, il démarre une conversation vidéo avec WhatsApp. Le dialogue entre les deux amis commence avec les salutations d’usage en même temps que défilent les images des ruines sur le portable d’Abdel. « Venez-voir, lance-t-il très ému, à sa femme et à son fils, c’est là que mes parents et mes ancêtres ont habité…. ».
Au-delà de l’émotion, j’ai la sensation étrange que l’Histoire s’est immiscée dans nos pensées. Cette incursion dans les douars environnant Tagounite me donne la possibilité unique non seulement de retrouver les vestiges d’un monde disparu mais de faire l’expérience « physique » de ce qu’il était. Dès lors, comment cette proximité avec le passé ne rejaillirait-elle pas sur les mentalités des habitants ? Tout se passe un peu comme si les gens continuaient à vivre dans un temps révolu avec une appréhension inquiète de leur avenir. Dans cet environnement, les fantômes de l’Histoire n’en finissent pas d’errer sur les rives désolées du Drâa. Et pourtant, il y a eu une époque pas si lointaine où l’eau ne manquait pas. Pendant des siècles, des populations d’origine ethniques diverses se sont établies au bord du Drâa. Les Draoua comme on les appelle ici de manière parfois un peu péjorative, ces descendants d’esclaves d’Afrique noire, et d’autres ethnies ont développé des modes de vie fondés sur l’agriculture, l’élevage et l’artisanat. Tout cela serait-il voué à disparaître ? Peut-être. Ce qui est sûr c’est que l’aggravation des conditions climatiques oblige ceux qui restent à adopter de nouvelles habitudes de vie et à inventer d’autres façons d’habiter le territoire.
Certes, l’imagination, l’invention sont de précieuses alliées, mais pas cela ne suffit pas. La volonté « politique » et associative est souvent déterminante dans la recherche d’une dynamique de développement local. C’est ainsi par exemple, que le « Festival international « Tora Bladi » (16 au 18 décembre 2022) a choisi pour thème de sa 6ème édition « Le patrimoine de mon pays, un héritage pour les générations futures ».
Dans cette vaste étendue du Tafilafet d’où serait partie vers le Hoggar, Tin Hinan, (« celle des tentes ») la Reine berbère du désert, jaillissent des oasis. Aujourd’hui, ces havres de verdure ont perdu en l’espace de quelques années plus d’un tiers de leur superficie. Ils servaient jadis de halte aux caravanes venues d’ Afrique subsaharienne. Des marchands remontant vers le Nord échangeaient des marchandises très recherchées tel le sel, le cuivre, l’or. Des esclaves faisaient également partie de ces échanges. Dans ce mouvement, des groupes se sont installés générant des brassages de populations. Les tribus berbères belliqueuses, les harat’ins, les arabes, les morabitines se sont sédentarisés dans ces régions ainsi que des communautés juives. Au gré des saisons et des razzias (les rezzous), la vie s’organisait. Il fallait se protéger contre les assaillants, répartir l’eau, cultiver la terre, nourrir les bêtes… L’organisation défensive des Ksours (villages fortifiés) portent encore la marque de ces époques. Aujourd’hui les fortifications sont devenues inutiles; on ne se bat plus entre tribus. Les millions de caravaniers qui avec leur chameau ont sillonné les routes du désert font désormais partie d’une époque révolue. Des conducteurs de 4×4, de buggys…les ont remplacés et empruntent dans l’oubli de cette histoire des bouts de ces routes.
Étape9/ Tagounite-Mahmid : 33 km
En fin d’après midi nous sommes de retour à Tagounite. Dans la grande salle du rez de chaussée, Salah m’offre le thé. En le voyant faire, je me dis avec émerveillement que le rituel du thé est tout à la fois un signe de l’hospitalité berbère et un art. Un art qui demande de la méthode, de la précision, de la souplesse dans le geste. Un art qui obéit à des règles transmises de générations en générations…
Bientôt je vais rejoindre Mahmid à 25 km de là pour assister au festival « Taragalte ». Je ferai ce bout de route avec un motard français originaire des Alpes rencontré à l’unique station essence de la ville. Il roule avec une Transalp. A partir de Ouled Driss, le paysage prend des allures franchement sahariennes. Nuit d’hôtel chez le Pacha où j’étais déjà descendu il y a quelques années. L’ami motard avec qui je viens de faire ce petit bout de route décide d’aller planter sa toile de tente au camping qui se trouve juste à côté. On se retrouve le soir dans le centre de Mahmid dans un restaurant qui sert des brochettes et du couscous. Agréable soirée avec des guides marocains où il sera question de leur boulot, de leur avenir et d’un tourisme qui pourrait évoluer vers d’autres formes davantage fondées sur l’écotourisme, et une sensibilisation à l’histoire des lieux, ses traditions, ses cultures…
Après deux années d’abscence pour cause de Covid, le festival Taragalte de Mahmid revient. C’est la 11ème édition. Cette année le thème porte sur la « sobriété en héritage ». Habitués depuis le fond des âges à des activités au plus proches de la nature, les nomades « savent » la sobriété. C’est ce thème, qui, sera au programme de ces trois jours. Dans cette région de sable et de soleil, en pleine nature, dans un décor idyllique, les échanges sont graves. Peut-être est-ce le lieu qui en souligne la gravité ? A côté de ces rencontres passionnées, des musiciens jouent de la musique locale. Les ateliers proposés permettent de s’initier aux arts nomades. Belle ambiance sur un sujet grave et passionnant comme l’est celui de la durabilité et des valeurs de transmission et de sobriété. J’y ai passé une journée de détente studieuse.
Étape10/ Mahmid-Foum Zguid : 225 km
Par prudence et donc pour économiser le moteur, je ne dépasse pas les 80/90 km/h avec parfois quelques pointes à 100. J’ai ainsi le temps, sur cette longue ligne droite entre Zagora et Foum Zguid, d’admirer le paysage. Je peux alors laisser libre cours à une pensée nomade que je ressens de plus en plus intensément à mesure que je chemine sur ces routes du désert. J’avance, heureux, dans cette immensité, entre ciel et terre. Sous le casque, je chante, je salue les gens même s’ils ne m’entendent pas, je me parle à haute voix: « Regarde là-bas, il y a des nomades avec leurs chameaux » Assurément, la Royal Enfield 500 est parfaite pour les motards qui savent encore apprécier la moto pour les émotions contemplatives qu’elle procure !
* LE COIN MOTO -3 –
Pas de souci majeur jusqu’à présent sauf ce boulon déserré. En effet, le boulon du repose-pieds avant-gauche s’est dévissé sous l’effet des vibrations. Dans un des nombreux petits garages de mobylettes et de motos de fabrication chinoise de Foum Zguid…j’en profite pour le revisser, vérifier l’ensemble de la boulonnerie et regonfler mes pneus. Pour l’instant je n’ai toujours pas eu besoin de rajouter d’huile et ma consommation d’essence varie autour de 3,1 l. aux 100 km. Sobre, la moto a une belle autonomie, théoriquement supérieure à 400 km. A vrai dire, il y a de nombreuses stations services et je fais le plein tous les 200 km environ. Concernant le moteur, attention aux sous-régimes; à vitesse trop basse, si la vitesse enclenchée n’est pas la bonne, il a du mal à repartir. On ne repart pas à 30 km/ en 4ème par exemple sans des à-coups plus ou moins forts. Mieux vaut rétrograder à temps ! Bref, le moteur n’aime pas la cravache, je le sais ! Brusquer la moto risque à coup sûr d’altérer sa santé. Tout dans son comportement invite à une conduite tranquille et enroulée. Dans les immensités traversées, rouler à 80/90 km/h, sans forcer la mécanique, c’est largement suffisant. Dans ces environnements on comprend alors mieux ce que profiter du paysage, de la vie locale, de la route signifie. Et puis, admettons-le, la performance ou plus exactement la vitesse n’est parfois guère compatible avec le respect de l’environnement. Dans ce cas précis, aller vite, filer serait tout simplement incongru ! J’avance, le corps enveloppé dans la nature. Il m’apparait parfois que la destination n’a plus guère d’importance… Je vis l’instant présent.
Étape11/ Foum Zguid-Tata : 137 km
Dans cette région du Maroc, il fait encore très chaud en ce début du mois de novembre (environs 35 degrés). De part et d’autre de la mince bande de goudron sur laquelle je roule à 80/90 km/h., le sable du désert mord parfois sur les bas-côtés de la route. La vigilance s’impose.
Je m’arrête souvent pour contempler le paysage, ample, sauvage, prendre des photos ou filmer. Ici, le dépaysement est total.
étape12/ Tata-Taroudant : 174 km.
J’ai passé la nuit à Tata réputée pour sa production de henné. C’est une des villes parmi les plus chaudes du Maroc en été, située dans l’oasis de l’oued Tata. J’y étais déjà allé en automne 2018. C’est le point le plus au Sud de mon circuit marocain.
A partir de maintenant je vais entamer ma remontée vers le nord par la route splendide (P 1805) qui mène à Taroudant. En peu de kilomètres, l’Anti Atlas offre un contraste frappant avec le désert. Dès les alentours de Tata, la route s’engouffre dans un long défilé rocheux. La formation géologique plissée est spectaculaire: un véritable roman géologique qui raconte plusieurs millions d’années d’histoire de la terre et de ses mouvements.
En chemin, je traverse les villages de Tagmoute, Talat Izare et d’autres hameaux. Dans chacun d’eux, il y a une école et une mosquée. (Partout au Maroc, là où sont regroupées quelques habitations, on est sûr de trouver une école et une mosquée). Sur le bas côté de la route trois hommes sont assis au bord d’un canal d’irrigation. Ils discutent à l’ombre des arbustes. En me voyant, ils me sourient, contents peut-être qu’un étranger à moto vienne à leur rencontre rompre la monotonie de leurs jours; mais dans leur regard, on devine la dure condition de leur sort. Au sentiment de splendeur que ressent le voyageur correspond chez les locaux d’autres sentiments intimement liés à ce que la nature leur apporte grâce à leur travail. L’extase insouciante du touriste ne parviendra jamais à soulager le dur labeur du paysan. L’humilité de celui qui prie le ciel pour que sa terre lui procure de quoi nourrir sa famille, inspire le respect. Ils restent, je continue mon chemin…
Poursuite du voyage…
Je roule paisblement sur les pentes et les replats de l’Anti Atlas. De verdoyantes oasis abritent des petits villages. Dans ces paysages d’exception poussent des légumes, des fruits, des olives… régulièrement irrigués grâce à de petits canaux d’irrigation en pierres dans lesquels coulent l’eau. L’activité humaine ancestrale est organisée autour de ce qu’on appelle ici l’horloge à eau, c’est à dire le dispositif collectivement établi pour déterminer la quantité de temps pendant lequel chaque lopin de terre reçoit son quota d’eau. La route serpente au milieu de ces oasis avant de s’élever en virages serrés vers un col haut perché. A presque 2000 m. d’altitude, Il fait froid, la pluie menace. Je m’arrête et enfile ma veste imperméable. En contrebas de la route, des petits villages, accrochés à la montagne ont la couleur brune de l’environnement. A Igherm, situé à 1650 m. d’altitude, c’est jour de marché. Les rues sont noires de monde. Pause déjeuner dans un restau de Igherm avant de descendre dans la plaine du Souss sur Taroudant
A Taroudant, je m’accorde 2 jours de repos, tant la ville est attachante. Blottie à l’intérieur de ses épais remparts, elle semble somnoler à l’abri du Haut Atlas au nord, et de l’Anti Atlas au sud. Elle invite à flâner, à se perdre dans les allées du souk. Une ville à taille humaine, idéale pour aller d’un quartier à l’autre… à pieds évidemment ! Le soir, prendre un verre ou se régaler d’un tajine sur la place Assarag est un vrai moment de bonheur. Déambuler le long des remparts ou dans les ruelles en fin d’après-midi quand le soleil inonde au loin les montagnes du haut Atlas, a quelque chose de féérique. J’ai passé deux nuits dans un hôtel sympathique, tout à côté de la place Assarag.
Étape 13/Taroudant-Asni-Ilmil: 190 km
Au départ de Taroudant je longe sur une cinquantaine de kilomètres la nationale qui rejoint Ouarzazate. Sous un beau ciel bleu et une agréable température je navigue maintenant dans la plaine du Souss riche d’immenses plantations d’agrumes, de légumes, de champs d’oliviers. La verdure tranche ici avec les étendues arides du désert. L’eau coule en abondance et si certains secteurs agricoles du Maroc affichent une belle prospérité c’est bien ici, dans la plaine du Souss. La nappe phréatique alimentée par l’eau de la montagne du Haut Alas rend possible une agriculture en pleine extension. Après le petit village de Olad Bechi, je laisse derrière moi la plaine du Souss et me dirige vers le Nord par une petite route pentue et sinueuse qui monte vers le Tizi N’Test. C’est sûr, la voie très étroite a sans doute été conçue pour la moto ! Ici les camions ne passent pas et les campings cars sont à l’épreuve !
3ème COUP DE COEUR (dans le Haut Atlas et la région de Amizmiz)
Le Haut Atlas : région de Asni – Imlil – Amizmiz
Le Haut Atlas regorge de sites merveilleux. A Imlil, au pied du Toubkal, j’assiste au jeu fascinant des rayons du soleil avec les replis étroits des massifs et des hauts sommets enneigés. Ombres et lumières offrent entre monts et vallées un magnifique ballet. Les habitants semblent s’être parfaitement associés à une nature contraignante et exigeante. Leur volonté ancestrale d’ imprimer leur marque dans ce paysage austère est impressionnante. Ici, on cultive quelques légumes, on élève des moutons, des chèvres. C’est dans cette région que j’ai passé deux jours à visiter quelques villages, à explorer les pistes des hautes vallées du djebel Toubkal.
Venu du Sud, mon immersion dans ce Maroc de la montagne m’inspire des sentiments contrastés. Quand le soleil éclatant disparait derrière la montagne, la beauté sombre des vallées apparait. Les villages accrochés aux pentes abruptes des montagnes se fondent dans le paysage. Le gris a remplacé le bleu du ciel et le rayonnement du soleil qui se réfracte sur les flancs de la montagne. Dans ce territoire austère, des habitants vivent essentiellement de l’agriculture et du pastoralisme. Ils tentent de conserver leurs traditions ancestrales et leurs modes de vie à l’écart des grands changements et des grands bouleversements affectant le reste du Maroc. Le tourisme cependant est en train de modifier cet équilibre. Le Haut Atlas est devenu un lieu de villégiature. De nombreux randonneurs à la recherche de coins pittoresques viennent ici pour se dépayser. Les guides locaux proposent des balades sur les nombreux sentiers muletiers qui griffent la montagne. Des trecks jusqu’au sommet du Toubkal, le plus haut sommet d’Afrique du Nord (4167 m.) sont proposés aux amateurs de haute montagne. Des stations de ski se sont implantées. De nouvelles infrastructures ont été réalisées pour acceuillir les touristes.
La boucle autour de Asni
17 km au-dessus de Asni, en suivant la route P 2005, on est en pleine montagne. C’est là que se trouve Imlil, un village très touristique. Après Imlil, une toute petite route goudronnée particulièrement pentue débouche sur une sorte de replat en surplomb d’une vallée verdoyante. Là haut, à plus de 2500m. d’altitude la route est en très mauvais état, le bitume a disparu par endroits. Cette route d’altitude longe un profond ravin jusqu’à Tacheddirt avant de redescendre sur Asni. Sur ce chemin du retour, j’ai traversé les petits villages berbères de Ikkiss et de Amskere alternant au gré d’un revêtement très changeant entre une balade bucolique et une conduite dynamique. Superbe balade !
Étape14/ Asni – Amizmiz : 43 km.
En quelques kilomètres, je suis passé d’une ambiance montagnarde, rude, austère à une autre plus ample, plus souriante propre à la région d’Amizmiz. Sous plusieurs aspects les ressemblances avec le sud de la France sont flagrantes; on se croirait presque dans le Roussillon, les mêmes formes géographiques, les mêmes champs d’oliviers, d’arbres fruitiers.
Étape15/ Amizmiz-Marrakech: 57 km.
L’étape sera courte. 57 km ! Je quitte l’Oliveraie vers 11h. et m’éloigne encore un peu plus des montagnes de l’Atlas. Une vingtaine de km au nord de Amizmiz, après le barrage de Lalla Takerkoust, aux portes de Marrakech, s’étend à perte de vue un vaste désert : le désert d’Agafay. Ce désert ressemble à s’y méprendre à celui que j’ai parcouru du côté de Mahmid, Foum Zguid…. Rocailleux et composé de dunes qui se détachent du paysage, il a des airs de Sahara aux portes de la grande ville. Quelques villages berbères existent encore dans ce paysage austère. Des chameliers « postés » sur le bord de la route proposent des promenades aux touristes venus spécialement de Marrakech. A l’ombre d’un arbre, j’ai discuté du métier de ce chamelier qui revenait d’une course dans son désert.
Étape16/ Marrakech-El Djadida : 199 km.
4ème COUP DE COEUR (une belle rencontre à El Djadidah)
En fin d’après midi, j’arrive à El Djadida. Abdel m’a communiqué l’endroit où nous allons nous retrouver. Un café juste en face de l’océan ! Il dispose d’un grand appartement à proximité du centre ville. Nous allons passer deux jours ensemble. Son frère, Hassan et son cousin Abdel Karim, de Casa vont nous rejoindre. 2 jours à visiter la ville et les environs, 2 jours à découvrir du dedans la vie marocaine, 2 jours à saisir la douce réalité de l’hospitalité marocaine . Je repense à ces moments de convivialités partagés autour d’un tajine, à cette bouffée d’air frais dans la campagne autour de El Djadida et ces petits déjeuners pris dans une auberge au milieu des eucalyptus et des animaux de la ferme. Assurément d’excellents souvenirs….dont il restera plein d’images dont celles-ci.
GALERIE DE PHOTOS
Étape17 et 18/ El Djadida-Kenitra-Tanger : 437 km
* LE COIN MOTO -4 –
Après 3500 km au guidon de ma Royal Enfield, voilà la réflexion que je suis en mesure de faire concernant son fonctionnement. Disons le d’entrée, cette moto raconte une histoire, celle des bécanes anciennes comme cette motobécane 125 que j’utilisais dans les années 70 pour parcourir la France. Elle vibre, elle renâcle un peu à bas régime, mais dès qu’on remet les gaz, le bruit du moteur reprend sa musique. Pas de panique ! On se sent bien sur cette moto. La selle est confortable suspendue par deux ressorts. Sur les petites routes du sud marocain et dans l’Atlas, j’ai oublié tous ses défauts. Le bonheur ! Mais attention, il y a aussi des revers au plaisir ! Sur les chemins de terre que j’ai empruntés parfois pour me rendre dans les petits villages, le poids de mes bagages à l’arrière a rendu ma conduite périlleuse: l’avant flottait dangereusement. Par ailleurs, j’ai regretté, à certains moments en tout cas, le manque de puissance de la moto, notamment sur les grands axes de transition, très roulants. Sans être un amateur de vitesse pour autant, un peu de puissance supplémentaire eut été bienvenue pour rallier les grandes villes du Nord du Maroc ! Cela dit, la classic reste une moto très attachante. C »est une vraie moto à l’ancienne, au look accrocheur qu’il faut savoir manier avec douceur. Monter ou descendre les vitesses à la volée ? A éviter ! Avec la classic tout est une question de feeling. Dans les endroits les plus reculés, elle était comme chez elle ! Vintage à souhait, comme fondu dans le décor. Un brin de familiarité qui m’a trés vraisemblablement permis de nouer des relations sans doute différentes de celles que j’aurai pu avoir avec une autre moto au look moins rétro. La Royal Enfield 500, par delà ses défauts, derrière son aspect rustique, a indéniablement une âme. Elle n’est pas faite pour avaler les kilomètres mais pour voyager tranquille. Elle invite à musarder et à rouler sans rechercher la performance.
Les petits problèmes mécaniques et autres
- Le boulon du repose-pieds avant s’est desserré sous l’effet des vibrations.
- les rivets de la partie métallique du pot ont pris du jeu. J’ai règlé ce jeu et les vibrations métalliques que cela provoquait avec un collier solidarisant le pot et la partie métallique
- l’essence reflue lorsque le plein est fait à ras bord. En évitant de remplir le réservoir à raz bord le problème disparait !
- l’aiguille du compteur se bloquait de temps en temps à 85 km/h. alors que je devais rouler à 100. Il suffisait d’un arrêt pour que l’aiguille revienne à zéro et refasse son office.
- La difficulté à trouver le point mort notamment lorsque le moteur est chaud.
- Des freins peu efficaces obligeant à anticiper .
- Une forte tendance à louvoyer ou à guidonner lorsque la moto est chargée à l’arrière. Sur des chemins de terre la conduite est très délicate ! Et pourtant le poids des bagages y compris des sacoches ne dépassait pas les 30 kg !
– ÉPILOGUE –
Au terme de ce récit, je voudrais dire un mot sur le sens « temporel » du voyage. Outre le fait qu’il balance toujours entre réel et imaginaire, le voyage obéit à un autre tempo. Schématiquement on peut le définir à partir d’un processus qui se déroule en trois temps. Le premier commence bien avant le départ lorsqu’on le prépare et que sans cesse on l’imagine et on le crée dans sa tête. Le deuxième temps correspond au moment de sa réalisation. C’est le voyage réel, en acte : le temps de la découverte, de la rencontre, de l’émotion, de l’épreuve parfois aussi. Mais les choses ne s’arrêtent pas là. Il y a un après voyage, c’est à dire un troisième temps. Après avoir voyagé, de retour chez soi, l’expérience continue de s’actualiser dans nos pensées. Des images reviennent, des anecdotes aussi. On se rappelle des moments, des évènements; on revoit les photos, on les classe, on partage ses souvenirs; le voyage est objectivé … Il se poursuit. Lorsqu’il prend la forme plus aboutie d’un Récit construit à partir de ses souvenirs ou de quelques notes prises en chemin, alors le voyage devient l’objet d’une réflexion. J’ai ressenti dans ce travail d’écriture que je touchais à quelque chose d’important : peut-être la grandeur et l’âme du voyage.
_______________________
Je souhaitais clore cet article par cette photo. Elle a été prise quelques instants après avoir débarqué à Sète. A la sortie du port je pose avec un couple de cyclistes rencontré sur le bateau. Ils venaient du Sénégal et avant ce voyage africain ils avaient fait un tour du monde…. en Vélo ! J’allais garer ma moto à Montpellier, il leur restait 800 km encore à pédaler pour rejoindre leur domicile. Chapeau les voyageurs !
eh oui, une moto fabuleuse, parfois capricieuse, mais toujours au rendez-vous de mes rêves. Merci encore d’avoir prit le temps de me lire et pour ton superbe retour.
Belle déclaration d’amour au désert et à ses habitants, mais peut-être plus encore à ton amante, ta Royal Enfield 500 qui te conduit à son rythme vers les espaces infinis, qui berce tes silences intérieurs de son ronronnement et des pétarades de ses démarrages, que tu bichonnes et retrouves qui t’attend toujours fidèlement pour la chevauchée du lendemain. Tu n’as pas à nourrir de culpabilité écologique pour sa petite soif de 3l /100 km ! Franchement ! 75 l ? Un plein de bonne voiture pour parcourir 2.500 Km… Il est donné à peu de gens de pouvoir les faire à vélo ou à pied. Continue encore longtemps à parcourir le vaste monde et tes rêves pour faire rêver tes amis, sur ta petite bécane.
Betty
Un vrai plaisir de lire ce récit. Je suis justement entrain de préparer un voyage au Maroc avec ma Bullet 500 et ca me donne des idées
Bonjour, Tous mes compliments pour ce magnifique reportage. Descriptions précises des paysages, du mode de vie des habitants de leurs difficultés par rapport au réchauffement climatique et des problèmes liés au tourisme de masse. De très beaux clichés.
Encore bravo !
Bravo !
Je retrouve les mêmes sensations, les lieux, les réflexions…
Effectivement, le Maroc est un Bô pays, les Marocains (du sud, ou pas de grandes villes) sont des gens extrêmement sympathiques, prévenants et désireux d’engager un dialogue, car beaucoup ont un passé avec la France.
J’invite les personnes hésitantes à sauter le pas, le Maroc est simple, accueillant, magnifique, vous en garderez des souvenirs fantastiques.
M.M.
Super merci pour ce récit.
Je n ai pas encore tout lu même J aime savoir que j ai une mine d informations en attente pour un beau voyage au Maroc en Royal Enfield.
Cet esprit de la moto tu le fait ressentira merveille
Un grand merci tu me fais rêver ✌️
Bravo pour votre voyage, et ce magnifique récit plein de sensibilité.