Le Nord-Ouest de l’Argentine, le lithium et la communauté indigène

J’ai pris la photo de la façade de cette maisonnette à Cachi dans le Nord Ouest de l’Argentine, au pied de la cordillère des Andes, le 2 août 2023. Un slogan y était tagué : « SABIDURA DE MI TIERRA » ce qui signifie « LA SAGESSE DE MA TERRE »
Quelques années auparavant, en Octobre 2019, j’étais en Bolivie, dans le salar d’Uyuni puis au Chili dans le désert d’Atacama, pas très loin de Cachi. Je venais du Pérou.


Je me suis alors rappelé que dans la communauté andine de ces trois pays, la terre est sacrée. Elle a sa déesse : La PACHAMAMA (« Terre-Mère »). Les peuples qui vivent dans ces régions des Andes lui vouent depuis toujours un culte fervent.

Considérée comme un être vivant, la terre est représentée par une femme enceinte aux traits indiens. Selon les croyances locales, elle est à l’origine de tout : êtres vivants, végétaux, minéraux…et constitue la divinité majeure. Or, depuis quelque temps déjà, cette terre fait l’objet d’intenses spéculations liées à l’extraction du lithium qu’elle contient dans ses sous-sols. Lorsque je suis arrivé dans cette partie de l’Argentine, des émeutes venaient d’avoir lieu, pas très loin de là, dans la province de Jujuy, près de la frontière bolivienne. L’accès dans cette zone était compliqué (barrages routiers) et je n’ai, hélas, pas pu m’y rendre.
Au coeur de ces tensions : le lithium. Ce métal est aujourd’hui très fortement recherché en raison de son utilisation dans les appareils électroniques, les smartphones ainsi que dans les batteries des voitures électriques. On le trouve en grande quantité dans la province de Jujuy (Argentine) ainsi que dans le Salar d’Uyuni (Bolivie) et le désert d’Atacama (Chili). Ces trois régions forment le fameux « triangle du lithium ».

Dans ce triangle, se trouve 59% des ressources mondiales de lithium. Avec l’augmentation de la production de batteries pour le marché automobile, des pays comme la Chine, l’Australie, le Japon… sont sur les rangs. Les enjeux pour le contrôle de l’industrie du lithium compte tenu de son importance stratégique sont très élevés. Les immenses étendues blanches de sel (les salares) sont ainsi convoitées et des travaux d’extraction ont déjà commencé, notamment dans le désert d’Atacama malgré les vives protestations des communautés indigènes. Nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour dénoncer l’impact environnemental désastreux de l’extraction et ses conséquences sur les systèmes hydrologiques, en particulier les eaux douces souterraines.


En effet, dans ces régions désertiques, la consommation en eau nécessaire à la production du lithium est gigantesque et le processus utilisé assèche les rivières environnantes et les nappes phréatiques. (L’extraction, le traitement et la séparation du minerai de la saumure consomme énormément d’eau et reste très couteuse en énergie). Les cultivateurs de quinoa, principale ressource agricole de la région, sont les plus touchés par cette sécheresse.

Au nom de l’utilisation d’une énergie jugée « propre » et décarbonnée, la course au lithium à laquelle participent les sociétés minières internationales bouleverse les modes de vie des communautés indigènes locales. Les grands groupes miniers trouvent sur place une main-d’oeuvre à bon marché dans des pays souvent peu regardant sur la réglementation environnementale et les conditions de travail. Ils contribuent du coup à fragiliser encore un peu plus la situation des populations. C’est face à ce phénomène que les habitants de la province de Jujuy ont manifesté en juin 2023… Au fond, ce qui se passe au Jujuy et plus largement dans « le triangle du lithium » révèle en fait la nature des logiques productivistes qui ont fait de la « croissance verte » un outil de marketing voire de compétitivité.
En fournissant le composant entrant dans la fabrication des voitures « propres », et présentées comme non polluantes, les activités minières impliquées dans l’extraction du lithium, prétendent s’inscrire dans la lutte mondiale contre le réchauffement climatique. Peut-être ! Mais au prix de génèrer ailleurs d’autres pollutions avec la plupart du temps l’appui des gouvernements locaux comme c’est le cas dans la province du Jujuy ! Sauver la planète en maintenant le principe « capitaliste » de la production est un leurre que les populations locales ont parfaitement identifié. Peu soucieuses d’améliorer la situation des populations locales et de résoudre les problèmes environnementaux qu’elles créent, les entreprises minières sur place occasionnent des dommages environnementaux irréversibles et aggravent la précarité des communautés andines. Ce faisant, elles discréditent complètement le message écologique affiché dans leur communication. A tout le moins, ce qui se passe là-bas relativise sacrément l’affichage écologique d’un certain « capitalisme vert » davantage intéressé par l’opportunité d’une rentabilité à tout prix que par la sauvegarde humaine et environnementale du monde.
Loin de chez nous, à bas bruit, dans ces régions du bout du monde, le récit « écologique » de nos sociétés postmodernes se construit…dans l’indifférence parfois coupable de nos usages décabornés !
Merci beaucoup, cher Jacques, pour ce message aux résonances tellement pertinentes. Plus je voyage, plus je saisi les urgences à agir et les effets délétères de ce que tu appelles « l’hypercapitalisme prédateur et humanocide ».
C’est le voyage en effet qui me permet de saisir in situ la conséquence de nos actes. De mon point de vue, il est une phénoménale école d’humanité qui nous rappelle la nécessité, comme tu le dis si bien, de changer radicalement nos modes de vie. Comme touriste « riche » dans un pays « pauvre » frappé par une inflation démesurée, je m’interroge aussi sur le fait de dénoncer cela même à quoi je participe en le sachant (prendre l’avion, utiliser son portable, son ordi, profiter d’un Euro fort…). Ce sont nos petits arrangements avec la modernité qu’il faut également revoir. Alors, le voyage, un analyseur de nos contradictions ? Un accélérateur de conscience ? Plus sûrement un appel à s’engager pour la planète et à réduire.
Edifiant article sur le « triangle du lithium » ! J’enlèverais seulement le « parfois » à ton expression finale « parfois coupable ». Les enjeux géostratégiques majeurs que tu rapportes nous renvoient à notre propre inconséquence d’occidentaux riches (pour le moment du moins).
Réduire, réduire et encore réduire l’hypercapitalisme prédateur et humanocide suppose que nous changions radicalement nos modes de vie, de déplacement, de chauffage, d’alimentation.
Y sommes-nous prêts ?
Et rien ne dit que les pauvres opprimés par tant de cynisme des riches ne se révolteront pas.
Amitiés