L’Appel du désert
Le désert fascine, il vous prend corps et âme sans que l’on puisse vraiment savoir pourquoi. Evidemment il y a le paysage, sublimé par un coucher de soleil sur les dunes, une aube naissante sur la hamada, la perspective de nuits sans toit sous les étoiles… Pour exprimer ce qu’on ressent dans ces instants, on parle souvent de paysages à couper le souffle, on dit que c’est grandiose, merveilleux… mais on peine à exprimer comment et pourquoi on est saisi de la sorte. Dans la vidéo qui suit, j’essaie de mettre quelques mots sur mon ressenti
Mon attirance pour le désert est en fait très ancienne. Durant l’été 1973, à 20 ans, je trace ma route sur les fameux chemins de Katmandou. Lors de ce périple, j’aurai l’occasion de traverser les déserts d’iran, d’Afghanistan. De nombreuses années plus tard, lors d’un voyage en Amérique du Sud, je traverserai plusieurs déserts dont le fameux salar d’Uyuni (désert de sel de Bolivie), et celui d’Atacama au Chili. Ces immensités ont d’une certaine manière constitué la matrice imaginaire de mes projets de voyage dans le sud Marocain.
pourquoi le désert ?
Je n’ai pas de réponses précises à cette question tant elle sollicite des émotions complexes, des motivations diverses liées à mon histoire et à mes expériences. Approximativement je pourrais évoquer mon besoin d’immensité, de liberté, mon envie de nuits sous les étoiles, la possibilité que m’offre le désert de sortir « radicalement » de ma zone de confort, d’approcher la nature dans son épure, ou encore de me retrouver sur la trace des premiers explorateurs et d’enrichir ainsi ma vision du monde. Ce ne serait pas faux, ce ne serait pas tout à fait exact non plus. Au risque de la caricature et d’une schématisation excessive, j’expliquerais toutefois cette attirance à partir des 6 arguments suivants :
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La beauté brute et minimaliste
De par leur forme austère et grave, les paysages désertiques possèdent une esthétique unique : dunes ondulantes, roches sculptées par le vent, ciels immenses, jeux de lumière saisissants. Cette beauté dépouillée merveilleusement décrite par nombre d’écrivains touche souvent au sublime jusqu’à nous faire ressentir en miroir la version dépouillée et authentique de nous mêmes. A l’évidence le désert suscite un effet minimaliste qui provient, me semble-t-il de la pureté visuelle qu’il dégage. Il n’y a guère là que je ressens une telle émotion.
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Le silence et la solitude
Dans le désert règne un silence assourdissant. Ici les bavardages n’ont plus cours. Face à la qualité du silence et du dépouillement qu’on ressent dans le désert, un espace de révélation intérieure peut alors surgir. Il m’est arrivé ainsi de retrouver une intériorité qu’à force d’habitudes quotidiennes j’avais fini par oublier. En retrait de nos modes de vie agités, loin des écrans, du bruit et des distractions modernes, l’occasion d’une pause intérieure devient possible, une façon inédite de se recentrer !
-3-
Un sensation d’infini et de liberté
Dans le désert on se sent léger et fragile comme débarrassé du poids de nos futiles appartenances et de nos vaines addictions; du coup on se sent libre. Le désert est aussi un monde où les frontières se sont effacés. L’horizon est sa seule limite, le mouvement qu’il implique, son air et son oxygène comme une invitation à ne pas se fixer. Par la force des choses, on devient nomade, l’assignation à résidence, pour un temps n’existe plus. Et ça nous rend plus libre encore. Cette « identité nomade » dont parle Le Clézio procure enfin cette douce illusion d’un moment unique où la perspective de se ré-inventer, d’envisager d’autres perspectives, prend tout son sens.
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Une prise de conscience
Le progrès, l’exploitation de la nature, les guerres ont considérablement contribué à aggraver la face du monde. Quand je vais dans le désert, je retrouve toujours les vertus de la lenteur? Et je me dis qu’il y aurait sans doute quelque nécessité vitale à stopper la vitesse et l’accélération promise par les apôtres d’une technologie sans borne. Sauf à s’enthousiasmer pour Dubaï…On n’imagine pas qu’ici le « progrès » vienne perturber le rythme lent des jours et des nuits, que le bruit et la fureur du monde viennent déranger le calme des lieux. Cette sensation est au départ d’une prise de conscience écologique et par contraste au coeur d’une réflexion critique sur les méfaits du temps « technicien » !
– 5 –
La fierté d’avoir été au bout de ses rêves.
Partir seul sur les pistes et les routes du désert marocain, c’est l’occasion de vivre une expérience où je vais devoir me dépasser et sortir de ma zone de confort. Et cette expérience est d’autant plus intense que l’environnement est exigeant et qu’il nous met à l’épreuve. Et nous le savons tous, au bout de l’effort, quand le corps a été durement sollicité, qu’ on s’est fait peur, que l’angoisse nous a parfois submergée, on se sent terriblement vivant et la fierté nous gagne; on l’a fait ! On a relevé le défi , comme une manière de retrouver un certain imaginaire héroïque.
– 6 –
L’expérience de l’altérité
Dans le silence du désert, là où le sable danse au rythme du vent, naît la rencontre. Ici, on ne se croise jamais par hasard. Le désert, vaste et nu, invite à l’écoute de l’autre, à l’ouverture du cœur.
Les gens du désert, gardiens de l’horizon, savent accueillir. Leurs gestes sont simples, mais chargés de sens. Un tagine ou un thé partagé sous une tente, un regard qui ne juge pas, un mot qui relie plutôt que de séparer. Chez eux, l’étranger n’est pas une menace, mais une histoire à découvrir.
Dans cet espace dépouillé, l’altérité n’effraie pas — elle enrichit. Chaque visage venu d’ailleurs est une étoile de plus dans leur ciel immense. Car le désert enseigne la valeur de chaque être : il n’y a pas de superflu, tout est essentiel.
Rencontrer l’autre, ici, c’est se dépouiller de ses certitudes pour accueillir l’inattendu. C’est comprendre que l’humanité se tisse de différences, et que l’accueil est l’un de ses plus beaux arguments.
Sur la route du sud marocain
Ces dernières années, c’est donc dans le sud marocain que j’ai réalisé mes rêves de désert. J’ai sillonné à moto cette région en 2022, en 2023 et récemment, en 2025. La carte ci-dessous donne un aperçu partiel de l’itinéraire suivi. De Ouarzazate, en passant par Zagora, Tagounite, M’Hamid, Foum Zguid, Tata, Assa, Guelmin, avec en 2024 une incursion sur le bord ouest du Sahara (Tan-Tan, Tarfaya, Laâyoune), j’ai découvert une culture du désert aux ambiances contrastées fortement ancrée dans la tradition berbère.
Du Haut-Atlas au Désert
Extraits de mon carnet de route: « J’ai quitté Marrakech ce matin vers 10 h après un solide déjeuner fait de msemen et de miel. Il fait déjà une trentaine de degrés. Au fond, les sommets de l’Atlas sont dans les nuages. J’ai prévu de rejoindre Ouarzazate par la vallée de l’Ounila, avec une pause pour la nuit dans le village de Telouet.
Au fur et à mesure que je m’approche du col du Haut Atlas, le Tizi N’Tichka (2260 m), le ciel s’assombrit. Le vent souffle par rafales. Il fait froid.
Arrivé au col, je quitte la nationale 9 et prends, sur la gauche, la petite route qui descend vers Telouet. La route serpente entre les splendides parois ocres de la vallée, les villages, les casbahs…
Dommage que le temps soit à la pluie et que l’ambiance ocre de la région de l’Oulina soit un peu terne.
Pour autant, l’aventure commence, là, maintenant, à Telouet, face à la kasbah du Glaoui.
Demain, c’est sûr, il fera beau ! «
A partir de Telouet, la route s’étire comme un mince ruban d’asphalte à travers la vallée de l’Oulina, glissant entre les reliefs ocres et les palmeraies silencieuses. Elle serpente avec grâce, dévoilant à chaque virage une nouvelle palette de couleurs, du vert tendre des oasis au rouge brûlé des falaises. Derrière moi, les cimes de l’Atlas veillent, majestueuses.
En approchant d’Aït Ben Haddou, le paysage devient plus aride, plus saisissant. La célèbre kasbah, perchée sur sa colline, surgit comme un mirage de terre cuite, gardienne de siècles d’histoire et de récits de caravanes. Puis la route reprend, plus droite maintenant, en direction de Ouarzazate, la porte du désert.
Le désert retrouvé
Dans l’immensité du désert qui est devant moi, je sais d’expérience que la nature brute et encore préservée (mais pour combien de temps encore?) s’apprête à dévoiler ses secrets et sa beauté.
Loin de la vitesse et du bruit, dans ces immensités dépouillées règne la plénitude et l’harmonie. Mais plus encore, parce qu’on ressent, une fois franchie le territoire des villes et de ses agitations absurdes, le désert procure une sensation de liberté, d’ouverture et de calme, comparable par certains aspects à celle que j’éprouve en contemplant ces tableaux du peintre catalan, Joan Miro.
Au milieu du sable et des roches, entre oasis et palmeraies, j’ai fait l’expérience du Sublime et de la Grandeur jusqu’à frôler le spirituel. Evidemment, tout n’est pas qu’une histoire de paysage dont la beauté minérale effacerait le Temps. Dans le désert, le temps se voit. On le regarde passer. Il s’écoule lentement à travers le paysage et inexorablement il finit par imprimer sa marque universelle: celle qui efface les traces du passé pour laisser derrière lui des douars en ruine, des ksars, des ksours dont il ne reste plus que l’ocre ossature…Et pourtant, chaque endroit sculpté par le vent rappelle qu’ici des gens ont vécus. Si on tend l’oreille on pourrait même entendre le murmure d’anciens secrets. Depuis des millénaires, des groupes humains d’origines très diverses ont cohabité dans ces grands espaces, pour le pire et pour le meilleur.
Ces villages abandonnés, ces ruines sont les témoins encore debout d’une époque révolue mais dont on retrouve encore la trace dans les coutumes et la culture locale. Tout n’est pas que ruines, car au-delà des pans de murs de pisé que le temps n’a pas encore totalement effacés, ce sont un patrimoine et une mémoire qui subsistent et se transmettent. Sans une connaissance même rudimentaire de ce passé, il me semble impossible de comprendre, ne serait-ce qu’un peu, les modes de vie et d’échange des habitants du désert.
Un peu d’Histoire
Du point de vue de l’Histoire longue, les régions sahariennes du Maroc ont fait l’objet de nombreuses études. Des recherches leurs sont régulièrement consacrées. Toutes, mettent en évidence, notamment à propos des régions situées le long de la vallée du Draa – autour de Zagora, Tagounite, Mahmid, Foum Zguid, Tata… – la complexité d’un passé humain particulièrement dense et mouvementé. Dans ces immensités arides, parsemées d’oasis, de palmeraies et de douars abandonnés, des groupes humains d’origines très diverses ont cohabité.
Etablis là depuis des siècles, (Les Aït Dra, les Hartani ou les Draoua, – population noire de la vallée du Draa – , les Aït Atta, les juifs, les groupes maraboutiques comme les chorfas, les Mrabtins…) nombre de communautés ont exercé une influence décisive sur l’histoire politique, culturelle et sociale de la région. Cette cohabitation faites de razzias, d’alliances a généré une grande instabilité dans la région. Une certaine forme d’anarchie régnait alors. Il n’était pas rare que des groupes nomades, comme les tribus amazighs ou arabes dépouillent de leurs biens des sédentaires réfugiés dans des villages fortifiés.
Assou Oubasslam, dans les années 30, en pleine négociation avec un général français. Il opposera une résistance farouche à la présence française au Maroc.
A partir des années 30, sous l’effet des politiques coloniales et des mesures étatiques d’unification, le brassage des populations s’est accompli. Les tribus se sont effacées pour se fondre dans une identité marocaine unifiée. Aujourd’hui une population mélangée presque totalement sédentarisée tente de survivre dans un contexte où le manque d’eau pousse nombre d’entre ses habitants à s’exiler dans les villes ou à l’étranger.
Plus récemment, au 19 ème et au début du 20ème siècle, les premières expéditions françaises et européennes vont permettre à quelques illustres voyageurs comme René Caillié, Charles de Foucauld, Michel Vieuxchange, Théodore Monod, Antoine de saint Exupéry… de s’aventurer dans le désert marocain. Ces voyages s’inscrivent pour la plupart dans la réalité des conquêtes coloniales du 19ème siècle.
Ils étaient le plus souvent soutenus par des sociétés scientifiques et des gouvernements avec le projet de recueillir des données géologiques, botaniques, humaines, d’identifier, de cartographier les territoires à conquérir… Le plus souvent, l’histoire des aventuriers se confondait avec celle de la colonisation. Les premiers voyages en Afrique du Nord et au Sahara étaient redoutables. Pour ne pas être inquiétés certains voyageurs n’hésitaient pas à se déguiser en musulman. Il fallait être un peu fou pour, des mois durant, voire des années, parcourir à pied, à dos de chameaux… des contrées austères et particulièrement hostiles. Les risques encourus étaient énormes (maladies, agressions, assassinats, routes inconnues et risque de se perdre…). Beaucoup mouraient en cours de route de maladie, d’épuisement ou d’agression.
A l’heure du GPS, de la 5 G et des nouvelles technologies (le Maroc a réussi à étendre son réseau internet dans les coins les plus reculés de son territoire), l’aventure a pris de nouvelles formes. Avec le développement du tourisme, le désert marocain est devenu très accessible quand hier il était interdit. Endroit très fréquenté et sécurisé, il attire chaque année de plus en plus de touristes. Cette hyper fréquentation n’est pas sans conséquence sur la fragilité du lieu eu égard à la pollution engendrée. Parce qu’il reste mythique, parce qu’il reste un lieu où accomplir des « exploits », il attire les foules. Terrain de jeu des 4×4, des Quads, et autre engins à moteur, son fragile équilibre est ainsi menacé. Les routes goudronnées ont remplacé les ancienne pistes. De nouveaux itinéraires se sont multipliés. Les voyageurs profitent de ces aménagements pour s’aventurer dans ces extraordinaires immensités. Des guides, des organismes de voyage proposent d’accompagner le voyageur dans « des excursions inoubliables » .
Tout est organisé et préparé y compris le tagine le soir sous les étoiles. Le touriste commande, achète son treck, le guide s’exécute. Il ne s’agit plus de vaincre des périls, de mettre sa vie en jeu en s’engouffrant avec exaltation et angoisse mêlées dans l’inconnu des jours et des nuits, mais de vivre le plus intensément possible une expérience « unique » dont les épisodes sont la plupart du temps soigneusement programmés. Randonnées, treking, bivouac, nuits sous les étoiles… tout est pensé, sécurisé, planifié pour que le hasard soit réduit au maximum. Dans ces conditions, quel sens peut encore avoir la notion d’aventure ? A tous ceux, tentés par l’aventure, qu’ils se rassurent, même si le désert marocain est praticable, sûr, couvert par les principaux opérateurs téléphoniques, l’aventure existe encore. Certes, elle n’a plus grand chose à voir avec l’incertitude, l’imprévu, le danger qui prévalait hier… Notre modernité a permis et c’est heureux que l’aventure (pas partout !) ne consistât plus à mettre sa vie en jeu et à affronter mille périls. Elle doit rester un plaisir, un moment de découverte.
En lieu et place du péril (qu’on peut toujours rechercher par ailleurs !) c’est l’insolite, l’inhabituel, qui est recherché, l’envie de se plonger dans un autre monde, radicalement autre. S’ajoute à cela l’occasion de tester ses limites et de se dépasser. Mais pour que l’Aventure prenne tout son sens il y faut encore ces quelques dispositions : se laisser surprendre par l’inconnu, être ouvert à tous ces petits moments extraordinaires qui se présentent chemin faisant et renoncer autant que faire se peut au confort et au programme. Telle pourrait être la boussole des temps modernes de l’aventure et particulièrement dans le désert. C’est en tout cas avec cet état d’esprit que je me suis baladé à moto et à pieds dans le Sud marocain. Fort des récits des grands voyageurs comme Saint Exupéry, Charles de Foucauld, Michel Vieuxchange dans mes sacoches j’allais pouvoir marcher dans leur pas et donner à mon Aventure ce qu’il faut d’imaginaire et de force pour héroïser autant que possible un road trip, somme toute assez banal !
Quelques références
René Caillié (1799-1838)
René Caillié (1799-1838) est le premier européen à entrer en 1828 dans la cité interdite de Tombouctou après un long périple à l’intérieur de l’Afrique. De là il rejoindra le Maroc en 52 jours. D’où cette plaque à Zagora ; « Tombouctou 52 jours de chameaux »
Michel Vieuxchange (1904-1930)
« Je souffrirai n’importe quoi, je dormirai n’importe où; un seul besoin : atteindre SMARA » (Michel Vieuxchange 1930)
M. Vieuxchange est connu pour être le premier voyageur à découvrir en 1930, au prix de nombreuses péripéties la ville de Smara, interdite aux chrétiens et située en plein coeur du Sahara marocain. Il meurt à 26 ans, au retour de son périple, d’une dysenterie.
Théodore Monod (1902-2000)
« Parler du désert, ne serait-ce pas, d’abord, se taire, comme lui, et lui rendre hommage, non de nos vains bavardages mais de notre silence » (Théodore Monod)
Antoine de Saint Exupéry (1900-1944)
Pour en savoir plus sur mes échappées marocaines je vous renvoie aux vidéos et aux articles accessibles à partir de ce lien:


























Beau reportage sur ta relation, tes relations au désert, depuis les années 70. Une belle askesis du voyage intime. Et un superbe album photo. Amitiés.