REGARDER

Petite méditation sur le regard et l’image

Le voyage est un art de vivre qui invite à prendre le temps de regarder de plus près le tableau du  monde. A cet égard les sollicitations sont nombreuses. Ici,  une danseuse de flamenco sur une place de Jerez, là des enfants qui jouent au ballon sur un terrain de foot improvisé  dans un village du sahel,  ou encore un paysage rocailleux sous la lumière chaude d’une fin d’après midi. Tout fait image et aucune n’existe sans le regard qu’elle sollicite. C’est parce que nous regardons que nous pouvons « saisir » des images et découper des instants auxquels nous accordons une signification et une importance particulière. Dès lors, on peut se demander quelle place « subjective » le regard occupe lorsque nous voyageons.

Que retient-t-il ? Que découvre-t-il ? Par quoi est-il attiré ? Pourquoi ?…

C’est assurément à ces questions vives et à d’autres que nous sommes confrontés en voyage dès lors qu’on a le projet de photographier des moments des réalités traversées…

 De quoi la photo que je vais faire est-elle une indication de ce qui a frappé mon regard ? A vrai dire, je n’en sais trop rien. Ce que je sais c’est que dans la vie de tous les jours et plus encore en voyage j’aime m’attarder sur des scènes ordinaires de la vie quotidienne, regarder vivre les gens chez eux, au travail, au café, dans la rue, au marché, imaginer leur vie, leurs préoccupations, leurs joies, leurs peines, leurs souffrances.  Les paysages de montagne, les déserts m’attirent également. Combien de fois n’a-t-on été saisi par la beauté d’ un paysage, combien de fois n’a -t-on ressenti une émotion vive face à une situation humaine, combien de fois ne s’est-on retrouvé face à ces moments « magiques » qui nous ont poussé à sortir notre appareil photo pour en capturer la substance vive ? Regarder, lorsqu’on voyage c’est se retrouver dans un monde saturé d’images et de morceaux de Réel . Souvent, si ce n’est toujours on éprouve le besoin de montrer ces images, de les restituer, d’en parler, de témoigner. Lorsque je les montre à d’autres, je leur signifie à peu près ceci : ce que j’ai regardé et que je te montre là,  je l’ai vu de près, je l’ai touché des yeux, ça m’a touché. De ce point de vue,  le regard fonctionne un peu comme une preuve ou un témoignage. Je regarde et je témoigne. Voilà où j’étais, voilà ce que j’ai vu, voilà ce que j’ai ressenti, voilà ce que ça m’a apporté. Quand regarder se confond avec le voir, le perceptif, c’est la sensation palpable de la chose qui prédomine. La chose est bien là où j’atteste par mon regard qu’elle se trouvait quand je l’ai regardée et objectivée. Mais plus fondamentalement et surtout en voyage, regarder va bien au-delà de ce que je vois matériellement. Derrière ce que je montre, on devine parfois la profondeur d’une situation faite d’ histoires, d’intrigues, de drames. Par delà l’image que je vais fixer il y a cette dynamique complexe, ce mouvement de la vie qui  génère de l’émotion.  Bref, on a affaire à des aspects moins immédiatement visibles, plus diffus et que l’oeil ne capte pas. Il me semble que la vision devient regard lorsqu’elle atteint la ligne de fuite possible entre ce que je ne peux plus physiquement voir et ce que je ressens du fait de mon implication dans la situation que je regarde.  Quand l’abstraction supplante la figuration, quand la vision fait place à ce qui l’excède, alors je peux dire que je regarde.

 

 

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